Tom Sellers a une histoire incroyable à raconter. Ayant grandi à Nottingham, Sellers admet qu’il n’a jamais aimé les contraintes de la salle de classe, mais en découvrant le travail en restauration – ou, au début, la vaisselle – à 15 ans, il a ouvert les yeux sur un univers dynamique et intense qu’il ne savait pas qu’il désirait tant. Maintenant, plus de 15 ans plus tard, la cuisine reste son véritable refuge.
Heureusement pour lui, Sellers dispose de trois cuisines à travers la capitale où il peut s’épanouir : son établissement phare, le Restaurant Story à Bermondsey, deux étoiles Michelin, sa rôtisserie au style parisien Story Cellar à Covent Garden, et son annexe Dovetale installée au 1 Hotel Mayfair. Un empire culinaire fondé non seulement sur la ténacité et la détermination, mais aussi sur une solide formation gastronomique. Avant ses 21 ans, Sellers a travaillé auprès de certains des chefs les plus influents au monde – Tom Aikens à Londres, Thomas Keller au Per Se (trois étoiles Michelin) à New York, et le deux étoiles Noma à Copenhague avec René Redzepi.
Cette expérience acquise dans des restaurants gastronomiques internationaux lui a donné la confiance et les compétences nécessaires pour ouvrir son premier restaurant en 2013, à seulement 26 ans – un succès immédiat. Son approche unique, accessible et authentique a séduit la critique et lui a valu sa première étoile Michelin dès les cinq premiers mois, avant d’en recevoir une seconde moins d’une décennie plus tard, en 2021.
Les distinctions accumulées par Restaurant Story rendent hommage au caractère personnel et malicieux des menus de Sellers. Chaque plat s’appuie sur un souvenir distinctif, comme le très photographié Bread and Dripping : une bougie comestible faite de suif de bœuf qui fond pour devenir une sauce dans laquelle tremper le pain, clin d’œil à son père grignotant du pain trempé dans les restes du rôti du dimanche. Animé par la volonté de briser les conventions de la haute gastronomie traditionnelle par le biais d’un récit nostalgique, il a ensuite créé le Storeo – un biscuit à l’encre de seiche fourré d’une mousse salée inspirée de son en-cas d’enfance préféré – et les Half Time Oranges, servis en milieu de repas comme lors d’un match sportif.
En 2023, Sellers a entamé un nouveau chapitre avec l’ouverture de la rôtisserie Story Cellar à Covent Garden, ainsi qu’un partenariat avec le 1 Hotel Mayfair, donnant naissance à Dovetale. Le premier rend hommage aux brasseries parisiennes, avec un comptoir surplombant l’effervescence de Neal’s Yard et proposant quelques-uns des plats phares de Sellers, tels que la célèbre bolognaise d’escargots sur toast, ou le tartare de thon au ponzu de tomate, sésame et algues.
Le second, quant à lui, illustre la passion de Sellers pour les produits locaux et s’harmonise parfaitement avec la philosophie durable du 1 Hotel. On y déguste une burrata anglaise fraîche avec huile d’olive, une sole de Douvres grillée façon Véronique ou un steak Denver Wagyu anglais. Fidèle à lui-même, chaque établissement rend hommage à la nostalgie, comme en témoignent les deux chariots Knickerbocker Glory proposant ce classique des desserts préparé à table.
Tout en mettant subtilement en lumière son identité culinaire propre, Sellers veille à ce que chacun de ses restaurants soit unique, s’éloignant de la tendance à reproduire à l’identique un modèle dans tous les quartiers de Londres. Nous abordons ici sa quête de la troisième étoile et l’idée qu’un plat peut exprimer mille mots.
- Avez-vous toujours voulu devenir chef ?
-
Non, pas toujours. Je n’ai pas grandi dans une famille de chefs ou dans le milieu de la haute gastronomie, mon père était constructeur. Mais j’ai toujours aimé l’idée de créer quelque chose à partir de rien.
- Quand avez-vous commencé votre carrière de chef ? Où vous êtes-vous formé ?
-
J’ai quitté l’école à 15 ans. Je n’étais pas doué pour les études. Je ne rentrais pas dans le système. Mais je savais que je voulais plus. J’ai intégré la cuisine de Tom Aikens à Chelsea à 16 ans, et ce fut le début. C’était dur, mais aussi magnifique. Cette cuisine m’a appris la discipline, l’éthique de travail, la douleur – mais aussi l’attention au moindre détail. Ensuite, je me suis formé à New York au Per Se avec Thomas Keller, puis au Noma avec René Redzepi à Copenhague.
Ce que j’ai compris, c’est que ce n’est pas une question de perfection, mais de but. D’émotion. La technique compte, bien sûr, mais sans histoire derrière, sans intention, c’est vide. Thomas m’a enseigné l’élégance. René, le respect de la nature. Tom Aikens, la maîtrise du feu. Mais chacun, à sa manière, m’a fait comprendre ce que signifie vraiment se soucier de ce que l’on met dans une assiette.
Parce que j’avais quelque chose à dire – et je ne voulais pas attendre. Restaurant Story est né de cette idée que la nourriture peut raconter une histoire, la mienne. Je voulais créer un lieu où la mémoire croise l’imagination ; où les gens peuvent manger un plat et ressentir quelque chose.
- Qu’est-ce qui influence vos menus au Restaurant Story ? En quoi diffèrent-ils de ceux de Story Cellar ?
-
Restaurant Story est profondément personnel. Story Cellar est différent ; c’est davantage une invitation au confort, aux rituels, aux plaisirs auxquels on revient. Il s’inspire des rôtisseries parisiennes, mais est conçu pour les Londoniens. Toujours centré sur les ingrédients. Toujours réfléchi.
- Comment vivez-vous la gestion d’un restaurant deux étoiles Michelin ?
-
C’est humble. On rêve d’une étoile, et lorsqu’on en obtient deux, c’est à la fois une reconnaissance et une responsabilité. Chaque jour, l’équipe connaît le niveau d’exigence. Je suis fier de ce que nous avons construit. Ces murs sont pleins d’amour.
- Souhaitez-vous décrocher une troisième étoile ?
-
Bien sûr. Pas par ego. Pas pour le Guide. Mais parce que je crois en la progression. Je crois en la quête de ce qui semble toujours juste hors de portée. Si nous continuons à évoluer, à surprendre, le reste vient naturellement.
- Quel est votre autre restaurant londonien préféré et pourquoi ?
-
Je dirais Ikoyi. Ce que fait Jeremy Chan là-bas est audacieux, sans compromis. Il crée un nouveau langage culinaire ; saveur, technique, origine, tout se mêle.
- Y a-t-il d’autres chefs londoniens qui vous impressionnent en ce moment ?
-
Il y a beaucoup de talents actuellement. Santiago Lastra à Kol – sa façon de raconter une histoire mexicaine à travers des produits britanniques est intelligente et essentielle.
- Comment occupez-vous votre temps libre, loin du restaurant ?
-
Je lis. J’écris. Je voyage quand je peux. J’ai besoin de prendre du recul pour créer – et Londres peut être intense. Parfois, je m’assois simplement avec un café et j’observe les gens. C’est de là que viennent les idées – de la vie réelle.
- Quel est votre plat préféré sur le menu ?
-
Probablement la bougie de suif de bœuf. Simple, nostalgique, et un peu espiègle. Mais surtout, c’est un souvenir – de la maison, de mon enfance. Ça me rappelle d’où je viens et où je veux aller.